Les sociosoma navajo…
L’étiologie navajo repose sur l’existence de ce que j’ai appelé des sociosoma.
La maladie résulte d’un déséquilibre. Celui-ci peut-être crée par le patient ou un élément extérieur.
Pour rester en bonne santé, il convient de respecter les enseignements transmis par les Yei.
Transmettre les histoires sacrées aux générations futures permet de protéger l’ensemble de la Nation Navajo. Si les actions menées par le gouvernement tribal et les responsables éducatifs ou spirituels afin de préserver la tradition ont pu s’inscrire dans une démarche politique revendicatrice, en réaction aux exactions commies par les missionnaires et les membres du Bureau of Indian Affairs, elles reflètent néanmoins des croyances religieuses qui fondent l’organisation sociale navajo.
La maladie est engendrée par une mauvaise interaction entre le souffrant et le cosmos.
Le hataali rappelle au patient les modalités d’interaction avec les autres membres de la Création à travers les chants et la représentation picturale que constituent la ou les peintures de sable réalisées lors de la Voie.
La Voie est le moyen utilisé pour guérir et atteindre hozho, le but ultime pour tout Navajo.
La connaissance est garante d’hozho. Contrairement aux mondes inférieurs caractérisés par des luttes intestines, le monde scintillant à la surface de la terre est un monde ordonnancé où les individualités s’effacent au profit du bien commun. Chaque élément possède une fonction propre qui doit être connue de tous.
Ainsi, un des chants de la Voie de la Bénédiction affirme :
« J’ai pleine connaissance de l’origine de Femme Montagne (…)
j’ai pleine connaissance de l’origine de diverses pierres précieuses (…) maintenant j’ai pleine connaissance de l’origine de la longue vie et du bonheur » [1]
Le Navajo peut tomber malade parce qu’il ne connaît pas les enseignements sacrés.
Le hataali va alors se charger de lui rappeler les épisodes mythiques qui correspondent à la première occurrence du mal qui l’affecte. En s’identifiant au patient originel, le malade pourra comprendre quels sont les comportements, idées ou fréquentations qui l’ont conduit à transgresser des prescriptions garantissant l’équilibre et la beauté.
Le patient pourra alors modifier son attitude. La famille et la communauté d’origine du patient participent activement à la cérémonie car celle-ci a pour vocation de renouer le lien social qui a été mis à mal par le patient et son ignorance des préceptes permettant de marcher dans la beauté.
Si le malade a délibéremment ignoré les enseignements des Yei alors son comportement irrespectueux peut lui valoir d’être considéré comme un sorcier.
Le sorcier ou porteur de peau est celui qui prend plaisir à transgresser les enseignements des Yei ou à les pervertir afin d’obtenir un pouvoir personnel. Il est un agent étiologique très néfaste et plusieurs cérémonies permettent de se prémunir des attaques des porteurs de peau.
En résumé, tout ce qui empêche la transmission des savoirs sacrés est pathogène. La maladie résulte des interactions qui vont à l’encontre de la sagesse prônée par les Yei.
[1] Wyman, Leland C. (sous la directionde) Blessingway, with Three Versions of the Myth, recueillies et traduites du navajo par le Père Berard Haile. Tucson : University of Arizona Press, 1970, page 113.
Agents dangereux.
Les Navajo estiment que chaque élément est investi d’une énergie première qui peut parfois se révéler pathogène si elle n’est pas appréhendée correctement.
Le principe de sympathetic magic (magie par contagion) identifié par Sir James Frazer en 1922 dans The Golden Bough structure les relations interpersonnelles de l’individu navajo et son rapport à la maladie.
L’énergie, pathogène ou bénéfique, peut être transmise à un sujet par un simple contact, visuel, corporel, auditif ou suggéré.
Par conséquent, de nombreux témoignages de médecins anglo se font écho de l’inquiétude de patients navajo qui étaient persuadés de la cause « surnaturelle » de leur maladie. Leurs symptômes sont apparus après avoir contemplé la foudre, croisé le chemin d’un cerf, piétiné des fourmis ou mangé une cuisse de grenouille. Ils n’avaient pas respecté les prescriptions régulant leur interaction avec ces Yei.