Les marches pour l’eau en territoire amérindien

A l’approche de l’été, de nombreuses communes en Europe alertent sur les problématiques liées à l’eau : assèchement des nappes phréatiques, risques de coupures d’eau potable, pollution des sols, des rivières et des sources (voir le scandale des eaux minérales françaises)…

Dans les Amériques, les populations autochtones n’ont pas attendu le réchauffement climatique pour se mobiliser sur ces enjeux.

Dès les années 1970, plusieurs tribus dénoncent la contamination des eaux des rivières ou sources présentes au sein de leur réserve. En cause : la surexploitation des ressources minières des territoires amérindiens. Lorsque les concessions sont abandonnées, ou que les mines ferment, les déchets restent sur place, enfouis, ou se déversant dans les cours d’eau, et bien souvent, aucun protocole de dépollution n’est mis en place. 1

La Nation Navajo a ainsi reçu plus de 40 millions de dollars de dédommagement pour la cinquantaine de mines d’uranium abandonnées par les entreprises Kerr McGee Corporation et Tronox, et des fonds d’un milliard furent alloués par l’EPA (U.S. Environmental Protection Agency) au nettoyage des terres navajos.

Pancarte « Pas d’uranium. » Près de la mine Quivira au sein de la Red Water Pond Road community. Copyright Kalen Goodluck for New Mexico In Depth.

J’ai déjà évoqué Leetso, le monstre jaune, que les Navajos associent à l’uranium : le Diné a payé un lourd tribut à la soif d’argent des géants de l’industrie minière. Comme l’explique Douglas Brugge, Professeur à la Tufts University School of Medicine :

“There is a really large and convincing and definitive literature that shows that for miners working underground, uranium mining is associated with a greatly increased risk of lung cancer. We also know that uranium, radium, radon and arsenic – which is frequently in the ore as well – are toxic. And we know from a fairly large number of studies that people who are drinking water contaminated with uranium have some adverse health effects, mostly kidney damage.” 2

On peut aussi citer la catastrophe de Church Rock qui généra le 16 juillet 1979 la plus importante émission de déchets et résidus radioactifs aux Etats-Unis, là encore, chez les Navajos, près de Gallup (New Mexico). 3

Church Rock en 1979, après l’incident. Panneaux mettant en garde en espagnol, anglais et navajo. Courtesy SMH/AP.

En 1993, plus au Nord, au Canada, dans la province de Nouvelle-Ecosse, deux millions de litres d’eau contaminée à l’uranium, provenant de la mine Rio Algom’s Stanleigh se déversèrent dans le lac McCabe, devenu depuis une destination touristique prisée (sic!). 4

Partout, de la frontière mexicaine au nord du Québec, des membres de Premières Nations sont contraints de faire bouillir l’eau du robinet ou d’acheter des centaines de litres d’eau embouteillée par semaine pour boire ou se laver. Leur vie est rythmée par les avis émis par les Drinking Water Advisories (DWAs). Des gestes aussi simples qu’ouvrir le robinet pour se servir un grand verre d’eau fraîche ou prendre une douche au retour du travail leur sont interdits. Voir l’infographie suivante pour le Canada. 5

Mais des mères de famille ont organisé la résistance depuis le début des années 2000. Armées de seaux en cuivre, elles parcourent des milliers de kilomètres le long de cours d’eau, de lacs et de mers intérieures. Partout, elles rendent hommage aux esprits qui résident dans les étendues aquatiques.

La première marche pour l’eau fut organisée au printemps 2003 par Josephine Henrietta Mandamin (1942 – 2019), aînée anichinabée, autour du Lac Supérieur. A cheval entre les Etats-Unis et le Canada, Gitchi Gami – c’est ainsi que les Ojibwés l’appellent – est le lac d’eau douce le plus grand au monde en superficie.

Petit à petit, de nouvelles marcheuses – accompagnées de leurs maris, fils et filles – ont rejoint le groupe initial, et en 2004, elles rendirent visite au Lac Michigan, puis au Lac Huron en 2005, au Lac Ontario en 2006 et au Lac Érié en 2007.

Joséphine Mandamin a sensibilisé de nombreuses générations amérindiennes à la défense de l’eau comme ressource sacrée. Avant de décéder en 2019, elle affirmait :

« Nous savons depuis longtemps que l’eau est vivante. L’eau peut vous entendre. L’eau peut sentir ce que vous dites et ce que vous ressentez… Respectez-la et elle peut prendre vie. Comme n’importe quoi. Par exemple, une personne qui est malade… si vous lui donnez de l’amour, si vous prenez soin d’elle, elle prendra vie. »

Cette défenseuse de l’environnement et des droits des Premières Nations fut nommée commissaire en chef des eaux de la Nation anichinabée. Par son parcours militant et politique, elle a inspiré de nombreuses personnes à travers le monde qui aujourd’hui, reprennent tous en coeur son slogan : Nibi (l’eau) is life.

Auréolée de plusieurs prix – Lieutenant Governor’s Ontario Heritage Award for Excellence in Conservation, Anishinabek Lifetime Achievement Award (2012) et le Governor General’s Meritorious Service Cross (2018) – Joséphine Mandamin ne s’est pas contentée de défendre l’eau des Grands Lacs, territoire de ses ancêtres.

Elle a aussi coorganisé et participé à des marches au Canada, en Amérique Centrale et le long de grands cours d’eau nord-américains comme le Mississippi, parcourant plus de 35 000 kilomètres avant de décéder. 6

Joséphine Mandamin – copyright Ayşe Gürsöz

Sa nièce, Autumn Peltier, porte aujourd’hui les revendications des défenseurs de l’eau jusqu’aux membres de l’Assemblée générale des Nations unies à qui elle s’adressa, alors qu’elle n’avait que 13 ans, le jeudi 22 mars 2018, à New York, lors de la Journée mondiale de l’eau. Un documentaire, “The Water Walker”, la suivant à travers le monde a été diffusé au TIFF. Il est également disponible en streaming.

Partout, des groupes de marcheurs pour l’eau essaiment comme en Irlande du Nord, près de la rivière Foyle : des militantes ojibwés et Lakotas y ont fait le voyage à l’appel d’habitants de la région inquiets après le projet d’installation d’une nouvelle mine… L’esprit de Joséphine Mandamin souffle partout…

Sources :

1. Childress, Marjorie. « Cleanup of abandoned uranium mines creates a demand for workers. » High Country News, 8 avril 2022.

2. Hilleary Cecily. Voice of America. « Native Americans Ask: What About Our Water Supply? », 13 février 2016.

3. Linda M. Richards. « On Poisoned Ground. » Distillations Magazine : Unexpected Stories From Science’s Past.

4. Serpent River Watershed Study – Sudbury Recovering Lake Comparison Study.

5. « Ending long-term drinking water advisories. » Indigenous Services Canada. Water in First Nations communities. Publication du Gouvernement du Canada.

6. LeMay, Konnie. »From Beginning to End: Walking the Mississippi River to Celebrate and Cherish Water. » Indian Country Today. 8 mars 2013.

A propos de l’incident de Church Rock en territoire navajo :

Clements, Chris. « On the 44th anniversary of the Church Rock uranium spill, Navajo families walk in remembrance. »10 août 2023. KSJD Radio.

D. Brugge, J. L. deLemos, and B. S. Cat Bui, « The Sequoyah Corporation Fuels Release and the Church Rock Spill: Unpublicized Nuclear Releases in American Indian Communities, » American Journal of Public Health 97, 1595 (2007).

 

 

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