Le braqueur – poète : Roberto Solis aka Pancho Aguila

Dans Mythes et Gastronomie de l’ouest américain, publié en 2014 aux éditions Le Square, je consacrais pas moins de 4 chapitres à Las Vegas et au Nevada. Normal, mon périple gastronomique débutait à Sin City, la ville des mafieux, des mariages éclairs et des accros au jeu. Je voulais donner un autre aperçu de cette ville kitch toute entière dévolue à la consommation touristique de masse. Montrer comment le développement de cette cité devenue un immense parc hôtelier à thème fut indissociable du boom de l’industrie minière et nucléaire. Faire découvrir au lecteur le visage pluriethnique de l’état du Nevada, et donc la diversité de mets qu’on peut y savourer dans les restaurants tenus par les communautés nord-amérindiennes, cubaines mais aussi basques !

Shepherd’s casserole (recette extraite du livre, page 50)
(Casserole du Berger)
(Pour quatre personnes, recette des immigrants basques au Nevada)
– 4 côtes d’agneau
– Sel, poivre, persil, ail finement haché
– 2 oignons, taille moyenne, coupés en rondelles et placés sous les côtes d’agneau
– 4 belles carottes
– 3 pommes de terre découpées en gros morceaux
– 2 poivrons verts découpés en fines lamelles
– 4 tranches de poitrine
Dans une cocotte en fonte, disposer d’abord les rondelles d’oignon, puis déposer par-dessus les côtes d’agneau. Saler, poivrer, ajouter le persil et l’ail.
Disposer autour les carottes et les pommes de terre ainsi que les piments. Couvrir le tout avec des tranches de lard. Fermer la cocotte et cuire au four pendant 1h30 à 200°C.

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Bien entendu, je ne pouvais pas résister à l’évocation de Frank Sinatra, Elvis et toutes ces figures mythiques de la culture populaire US qui ont contribué au rayonnement international de Viva Las Vegas.

Le Rat Pack, Dean Martin, Sammy Davis, Jr., Peter Lawford, Frank Sinatra, Joey Bishop, Copa Room, Sands Hotel Casino, Las Vegas, 1960, © University of Nevada, Las Vegas Libraries

Menu de la Soirée du Nouvel An 1957, Copa Room, Sands Hotel and Casino, © University of Nevada, Las Vegas Libraries

Mais décrypter Las Vegas fut aussi l’occasion de me pencher sur d’autres personnalités hautes en couleurs, moins connues du public français, telles que Benny Binion, ex-criminel reconverti dans le business « légal » des casinos qui organisa les premières atomic parties durant lesquelles les touristes étaient invités à assister à l’explosion de champignons atomiques dans le désert du Nevada depuis les balcons ou terrasses de Las Vegas. J’aurais pu aussi évoquer Roberto Solis qui fit la une des journaux et des flash infos télévisés en 1993-1994.

Benny Binion et sa fille Becky, © University of Nevada at Las Vegas Special Collections on the World Series of Poker, vers 1969.

Binion’s Jail Chili – (Le chili pour taulards de Benny Binion, page 57) – Pour 4-6 personnes
Ingrédients :
– 250 g de graisse de rognons de bœuf
– 900 g de bœuf haché grossièrement
– 3 gousses d’ail haché
– 1 cuillerée et demie à soupe de
paprika
– 3 cuillerées à soupe d’épices à chili
– 1 cuillerée à soupe de graines de cumin
– 3 pincées de sel
– Poivre à convenance (3 tours de
moulin conseillés)
– 1 cuillère à café de poivre blanc
– 1 cuillerée et demi à café de piment doux à poudre
– 750 ml (3/4l) d’eau

Faire cuire la graisse de rognons de bœuf. Ajouter le bœuf haché et les autres ingrédients de la préparation.
Faire mijoter à feu doux pendant quatre heures en prenant soin de remuer occasionnellement. Ajouter de l’eau si besoin. Servir avec des haricots rouges.

Carte postale avec photo d’un champignon atomique, courtesy of Society for Commercial Archeology

Dans les années 1990, l’âge d’or de Las Vegas est révolu. La plupart des casinos de première génération mettent la clef sous la porte et leurs propriétaires les font imploser au grand dam des nostalgiques d’une époque dorée qui ne fait désormais plus recette. La ville reste néanmoins un aimant pour les marginaux en tout genre qui rêvent d’y faire fortune, quoi qu’il en coûte !

Après avoir été relâché de prison où il purgeait depuis 22 ans une peine pour le meurtre d’un convoyeur de fonds, Roberto Solis est bien décidé à retenter sa chance. Mais pour concocter le braquage parfait, il mise sur un atout charme : une belle jeune femme qui contrairement à lui, n’éveillera aucun soupçon. Heather Tallchief n’a pas son expérience en matière de crime. Jeune infirmière tout juste âgée de 22 ans, elle provient d’une famille brisée. Élevée par un père drogué et dealer qui s’est remarié avec une femme qui la maltraitait enfant, elle tombe sous le charme de Solis, qui devient vite son père spirituel et son amant. Sur son conseil, elle accepte un emploi de conductrice auprès d’une société de transferts de fonds. Leur cible est le tentaculaire casino Circus Circus qui possède plusieurs points de retrait d’argent. Le 1ier octobre 1993, ils passent à l’action. Le temps que les deux autres employés récupèrent l’argent disséminé dans les nombreux distributeurs automatiques, Heather est loin, très loin. Solis a tout prévu : faux passeports, jet privé, réservations d’hôtels…

Circus Circus, Las Vegas, copyright Nausica Zaballos

En 2021, Netflix a consacré un double épisode de sa série documentaire Heist à ce casse réussi. Dans « Sex Magick Money Murder », Heather Tallchief est interprétée par la chanteuse et actrice Emree Franklin mais elle apparaît à la fin de l’épisode. En effet, lasse d’une vie sous une fausse identité en Hollande, elle s’est livrée aux autorités états-uniennes en 2005. Après avoir réussi à convaincre les juges qu’elle agissait sous la mauvaise influence de Solis, elle a écopé d’une peine de 5 ans et elle vit désormais libre.

The Napa Valley Register, 26 décembre 1993

L’épisode diffusé sur Netflix ne nous apprend rien de plus de ce que la presse révélait déjà en 2005, il semble même complètement anachronique. Tallchief y décrit le modus operandi d’un criminel qu’on dirait tout droit sorti des années 1970, comme si la prison avait eu l’effet d’arrêter le temps. Amateur de très jeunes femmes et d’ésotérisme, gourou révolté par la société bourgeoise, Solis semble être le décalque d’un Charles Manson latino. Si les créateurs de Heist insistent de manière sensationnaliste sur les rituels pratiqués par Solis sur sa jeune complice et proie, ils omettent de souligner l’importance que revêtaient les écrits poétiques de Solis auprès d’une petite frange d’intellectuels gauchistes de la côte ouest. Plusieurs sources indiquent clairement que les jolies paumées n’étaient pas les seules à succomber au magnétisme de ce criminel.

Ainsi, l’édition de janvier-février 1980 de la revue The Black Scholar appelait la communauté scientifique à se mobiliser pour obtenir la libération conditionnelle de Pancho Aguila (c’est sous ce nom que Roberto Solis publiait ses livres) qui était présenté comme le fils d’un avocat incarcéré par le dictateur Anastasio Somoza.

Mensonge, vérité ? Difficile aujourd’hui de connaître la véritable filiation et le parcours réel de Solis d’autant plus que la police n’a jamais remis la main sur lui.

En tout cas, les recueils poétiques publiés par Solis sont aujourd’hui disponibles dans les bibliothèques des plus prestigieuses universités nord-américaines et britanniques. Dark Smoke : poems, sorti en 1977 chez Second Coming Press, est ainsi consultable aux bibliothèques des universités Cambridge, Stanford, Yale, Brown, CUNY, SUNY, Northwestern… Hijacked, sorti en 1976 chez Twowindows, est lui disponible dans les bibliothèques des universités Brown, Yale, George Washington, Berkeley et même à la Texas Christian University… En Europe, la très sérieuse British Library possède plusieurs exemplaires des poèmes écrits par Solis.

Nul doute que les poèmes de Solis entraient en résonance avec des universitaires fortement politisés à la fin des années 1970, engagés dans les mouvements de luttes des communautés racisées. La plupart de ces textes furent écrits en prison, lors de workshops organisés en partenariat avec des enseignants de Berkeley. Pas étonnant donc qu’il ait participé à une anthologie intitulée Stroker, rassemblant en 1982 les poèmes d’un autre poète-détenu célèbre, Tommy (Thomas) Trantino, dont l’œuvre majeure, Lock the lock, fut traduite en français aux éditions 13e note.

Si Solis trouve une oreille attentive auprès de John Oliver Simon, l’enseignant chargé de l’atelier d’écriture créative à la prison de Folsom, cette expérience est de courte durée car les autorités pénitentiaires, inquiètes des revendications exprimées par plusieurs détenus, décident d’y mettre un terme définitif.

John Oliver Simon est ulcéré et le fait savoir, tout en encensant par la même occasion Pancho Aguila/Roberto Solis : « La dimension politique de ses poèmes est explicite. Une clarté prophétique surréaliste transcende ses textes qui ont été aiguisés avec des couteaux faits main. Ses poèmes vous procurent une sensualité qui surpasse la répression imposée par les tours à canon, un rire ironique et une pleine promesse de persévérance à la fois sauvage et bienheureuse ».

L’enseignant poursuit sur un ton tout aussi lyrique en citant le criminel qui s’auto-définit comme suit : « Pancho Aguila est un guerrier et un visionnaire qui ‘se considère comme partie prenante des bougies allumées pour la liberté et le changement permettant à la lumière d’advenir malgré les ténèbres entre les personnes.’  »

Sans méjuger des qualités littéraires des œuvres de Solis, nul doute que celui-ci était un être envoûtant qui exerçait une fascination sur ses interlocuteurs, hommes ou femmes… peut-être suffisamment pour couler aujourd’hui des jours heureux à l’abri de la justice (à moins qu’il n’ait été descendu par son ancienne complice).

Avec l’avènement du GPS et la multiplication des caméras de surveillance, renouveler un exploit tel que le casse de 1993 paraît impossible.
Mais les écrits de Pancho Aguila sont restés, et peut-être continue-t-il à publier sous d’autres noms.

I wonder of the nexus of fear
The seeds of a bitter lemon
Eager mad flies
Blowing trumpets
Inside an asylum of terror
So much fear between strangers
A vast continent
Never kissed by the sun
A rugged terrain
Feeling only the sweep
Of guntower lights
Utopian distances
Of light years
The space
Between strangers

Pancho Aguila. Anti-Gravity (1976)

“Feed the body”
“Pack meat on the bones”
Whispers inside
Shoes
Dragging
Evenings
To a place
Where hundreds sit
Beneath rifles

Pancho Aguila. Anti-Gravity (1976)

Mythes et Gastronomie de l’Ouest Américain : la presse en parle ! (liste non-exhaustive)

 

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