Sur la piste des Sioux au musée des Confluences, jusqu’au 28 août

Jusqu’au 28 août 2022, le musée des confluences à Lyon, propose de partir sur la piste des Sioux. Le titre de cette exposition est volontairement ambigu. Dans un musée dont les collections ont été agencées de manière thématique (sans forcément de cohérence géographique ou historique), Yoann Cormier et Jean-François Courant, tous deux chargés d’exposition, ont réuni de nombreuses pièces – coiffes, mocassins et costumes amérindiens, affiches de Buffalo Bill Wild West shows en Europe, sculptures, estampes du XIX siècle, illustrés et BD européennes – témoignant de la force des images d’Épinal dans la représentation des Premières Nations issue de notre imaginaire collectif.

Après avoir franchi la porte d’entrée, le visiteur-spectateur – car la scénographie prolonge l’ambiguïté du titre en nous conviant à un spectacle – se retrouve face à face avec des bisons naturalisés et un théâtre d’ombres représentant deux indiens des Plaines fumant le calumet de la paix sous un tipi.

© Musée des Confluences. Photo de Nausica Zaballos, 3 mai 2022.

© Musée des Confluences. Photo de Nausica Zaballos, 3 mai 2022.

Que ce soit à travers les westerns évoqués en fin d’exposition et les BD telles que Yakari (créée par Job, Derib et Dominique) ou bien Oumpah-Pah d’Uderzo, des générations entières de petits européens ont associé le tipi avec l’habitation traditionnelle des Indiens. Or, comme le montre l’exposition, il y autant de maisons amérindiennes qu’il existe de tribus : hogan navajo, maison en adobe hopi, wickiup apache. Les différentes salles de l’exposition font dialoguer objets et idées reçues afin de corriger les représentations erronées et illustrer la grande diversité culturelle des Peuples autochtones nord-américains.

Hogan. Photographie prise par l’auteur près de Rough Rock.
Copyright (c) 2010 Zaballos N. All rights reserved.

Hogan. Photographie prise par l’auteur à Window Rock. Copyright (c) 2006 Zaballos N. All rights reserved.

Taos Pueblo 1929/34, Georgia O’Keeffe

D’un point de vue historique, les commissaires de l’exposition ont sélectionné plusieurs œuvres graphiques (principalement des estampes et des peintures) qui montrent l’ambivalence des européens face aux peuplades – souvent jugées primitives – de l’Amérique du Nord tout au long des XVIIIe, XIXe et première moitié du XXe siècle. Oscillant entre effroi et admiration, l’européen moyen voit en l’indien des archétypes opposés : sauvage sanguinaire qui viole les femmes blanches et scalpe leurs maris, ou noble combattant romantique dépossédé, toujours digne malgré la défaite.

Heyward and the Hurons, 19e siècle, après 1835, d’après Charles-Auguste Van Der Berghe (1798-1853). Eau-Forte d’Alexis Girard. Collection Didier Lévêque. Photographie de Nausica Zaballos, 3 mai 2022.

Portrait of Ee-ah-sa-pa (The Black Rock) de Georges Catlin, chef des Nee-Cow-e-je, bande de la tribu des Sioux, 1845, prêt du musée du quai Branly – Jacques Chirac. Photographié par Nausica Zaballos, 3 mai 2022.

Les spectacles itinérants composés de performers amérindiens contribuent aussi à renforcer ces stéréotypes.

© Musée des Confluences. Photographie de Nausica Zaballos, 3 mai 2022.

Une partie importante des fonds présentés lors de cette exposition illustrent ainsi les échanges culturels entre amérindiens et européens à partir du XIXe siècle. Que ce soit au sein de la troupe de Buffalo Bill ou invités par des nobles français et britanniques, plusieurs individus issus de tribus amérindiennes se rendent en Europe. Ils sont reçus à la cour des monarques européens. Par exemple, en 1827, 6 représentants Osages rencontrent le roi Charles X.

Trois des Osages venus à Paris le 13 août 1827. Kihegashugah ou le Petit Chef, prince du sang, Minckchatahook ou Jeune Soldat et Gretomih. L. Boilly, 1827. Prêt du musée du Nouveau Monde (La Rochelle) Photographié par Nausica Zaballos, 3 mai 2022.

Ils participent également à des foires, au Jardin d’Acclimatation (le géographe Roland Bonaparte y photographie des Indiens Omahas en 1883) ou à l’exposition universelle internationale de Bruxelles en 1935. C’est parfois l’occasion pour eux d’échapper à la misère, certains espèrent même trouver un écho favorable en Europe face aux multiples interdictions – de parler leur langue natale, de célébrer leurs rites ancestraux – qui leur sont faites aux États-Unis afin de les assimiler complètement.

Photographie de 16,8×22 cm sur carton de 31×41 cm (tirage albuminé). Collection du Prince Roland Bonaparte. MHNT-PH-2014-0-2-19-001 Date 1883 Source Collection Photographique du Muséum de Toulouse.

L’essentiel des œuvres phares de l’exposition proviennent justement d’un collectionneur privé belge, François Chladiuk, qui s’est fait connaître de la communauté scientifique après l’acquisition en 2004 et l’authentification de plusieurs costumes revêtus par les danseurs amérindiens de la famille Littlemoon ayant participé à l’exposition universelle belge de 1935.

François Chladiuk devant une photographie de la famille Littlemoon.
© Pierre Buch La Gazette Drouot

La famille Littlemoon au village indien de Bruxelles en 1935 De gauche à droite : Francis, Wilson, Joe, Pauline, Rosa et Al Littlemoon
Collection François Chladiuk / Droits réservés

On ne peut s’empêcher de s’émerveiller devant la beauté des vestes, coiffes, parures, gilets, mocassins présentés. Les broderies de perle sont de toute beauté. Néanmoins, on aurait aimé un peu plus de contextualisation : était-ce des vêtements portés uniquement à l’occasion des représentations ou bien avaient-ils d’autres fonctions ou symbolismes ?

Collection François Chladiuk / Droits réservés. Photographie de Nausica Zaballos, 3 mai 2022.

Collection François Chladiuk / Droits réservés. Photographie de Nausica Zaballos, 3 mai 2022.

Collection François Chladiuk / Droits réservés. Photographie de Nausica Zaballos, 3 mai 2022.

Comme l’indique le titre de l’exposition, Sur la piste des Sioux traite essentiellement des Indiens des Plaines qui regroupent plusieurs tribus, Lakotas, Dakotas etc… Normal donc que l’essentiel de la vestimente exposée provienne de la collection François Chladiuk qui avait déjà fait l’objet d’une exposition en 2006 aux musées royaux d’Art et d’Histoire de Belgique. Néanmoins, comme au sujet des habitations Native, on aurait aimé quelques vitrines consacrées aux différents vêtements et bijoux portés et confectionnés par les autres tribus. Ainsi, il eut été tout à fait possible d’imaginer quelques pendentifs et broches avec pierres serties hopi ou des bracelets en argent navajo. Et même des baskets nouvelle génération et des robes asymétriques créées par de jeunes designers nord-amérindiens tels que Jolonzo Goldtooth

Exposer ce type d’objets aurait permis d’éviter que la majorité des visiteurs de l’exposition ne quittent le musée des confluences renforcés dans l’idée préconçue qu’un Indien est forcément un type à plumes ! Il n’y avait qu’à entendre les nombreux papas qui vantaient les mérites des boîtes Playmobil représentant des indiens à tomawak et totems : « ah, j’avais la même étant gosse, c’était vraiment chouette de jouer avec. » Si le dossier de presse précise que « Lego et Playmobil ont arrêté leurs boîtes de jeu sur « les cowboys et les Indiens » et que l’équipe de football américain Redskins a changé de nom l’année dernière », l’exposition aurait pu davantage insister sur le militantisme actuel des Premières Nations qui dénoncent toute tentative de réappropriation culturelle de la part de grands groupes industriels ou marques internationales.

Photographie de Nausica Zaballos, 3 mai 2022.

Donner la parole à davantage d’artistes, d’enseignants et d’intellectuels nord-amérindiens eut été un contrepoint salutaire à l’écrin réservé à la merveilleuse collection François Chladiuk dans une exposition qui, malgré son intérêt certain, ne va pas jusqu’au bout de sa démarche de démystification.

A propos de l’appropriation culturelle, voir mon article Une histoire orale navajo féministe publiée le 25 avril 2019 dans la revue de sciences humaines et d’arts En Marges

 

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